Michel de Montaigne - Les essais
Lire les Essais de Montaigne, c'est un peu comme se préparer à gravir un
sommet ardu ou démarrer une course au
long cours. J'ai pris ça comme un challenge de plonger dans la pensée de ce
philosophe et moraliste français du XVIème siècle cité par tant d'auteurs
contemporains et cela m'aura pris environ un mois et demi.
Son œuvre principale publiée en 1580 est celle-ci et compte trois tomes divisés
en 107 chapitres. Elle existe en diverses éditions et dans mon cas j'ai pioché
une brique de l'intégrale de 800 pages actualisée en Français moderne.
Il n'en faut pas moins s'accrocher au
style assez lourd, aux phrases à rallonges et aux nombreuses digressions.
J'avoue m'être souvent perdu dans ces longs soliloques, comme si j'avançais à
pas lents dans une sombre jungle inextricable. Mais heureusement de temps en
temps des clairières apportaient une lumière sur divers traits de ses
démonstrations et menaient à une réelle réflexion personnelle.
Biberonné aux philosophes et poètes de l'Antiquité qu'il cite allégrement comme
Cicéron, Sénèque, Plutarque, Horace, Lucrèce, Aristote, Socrate ... il tente
pourtant d'exposer sa propre vision des choses. Il annonce dès le départ qu'il
ne se pose pas en tant maître à penser, mais plutôt comme un compagnon de
conversations avec son lectorat. Il faut dire qu'on peut remarquer une certaine évolution de sa pensée au
fil du trio de livres écrits sur une durée de vingt années. On ne lui portera
donc pas rigueur de certaines de ses contradictions qui se dessinent au grés de
sa rhétorique. Cela aurait même tendance à montrer sa propre humanité. Il clame
qu'il aime les joutes verbales et préfère les gens qui ne sont pas d'accord
avec lui.
" Je cherche à la vérité plus la
fréquentation de ceux qui me gourment que de ceux qui me craignent. C'est un
plaisir fade et nuisible d'avoir affaire à gens qui nous admirent et fassent
place".
Il aborde dans le désordre les sujets les plus divers comme la mort,
l'éducation, le temps, la vertu, la cruauté, l'âme, etc et différents
témoignages de son époque.
De tout temps l'Homme a débattu sur son passage au trépas et a développé
diverses angoisses auxquelles il tente
d'apporter un apaisement. Pour ce qui est de l'éducation, il prône un
apprentissage moral et pratique qui ne s'encombre pas de théorie scientifique à
outrance qui serait comme une
bibliothèque de l'âme qu'on remplit d'une inepte collectionnite, mais d'un distillat qui nous serait utile à
la vie de tous les jours. Il condamne le racisme de certains pour les
"sauvages du nouveau monde" qui seraient finalement moins
"sauvages" que certaines de nos pratiques de torture européennes.
Le plus long chapitre s'appelle "Apologie de Raymond Sebon" et tourne
autour des religions et différentes philosophies antiques qu'il nome sectes. Il
est difficile de se forger vraiment une opinion de sa position théologique si
ce n'est qu'il reconnaît l'existence de Dieu comme base de tout. Mais sans oser
trop se mouiller il est plus volontiers critique de la morale antique que des
dogmes du catholicisme/protestantisme
contemporain. Pourtant on sent sa
profonde admiration pour ces penseurs anciens mais souligne toutefois les nombreuses
joutes philosophiques qui ont défié le temps. Comment peut-on vraiment s'y fier
tant elles sont contradictoires et changeantes même chez certains théoriciens?
Il rappelle la propension à la versatilité de l'esprit humain et renchérit que
seul dieu est réellement immuable.
Les chapitres évoquent des thèmes relatifs aux vices et à la vertu des humains,
se livrant de bon gré à des confidences sur sa personnalité ce qui fait comme
l'annonce la préface, qu'au fil des pages on finit par avoir l'impression de connaître un bon ami.
Il parle aussi de son ami Etienne de la Boétie qui rappelons le est l'auteur du
très avant-gardiste "Discours de la servitude volontaire" que je ne
peux que conseiller !
Vers la fin du deuxième livre il y'a toute une tirade sur la Médecine qu'il
examine au fil des siècles et des nombreuses contradictions et aberrations
qu'elle a pu colporter et tire la conclusion qu'elle est à fuir.
Dans le troisième livre qui ramène vraiment plus à des confessions sur sa vie
privée et pratique, il y a un long soliloque sur les "Femmes" qui
sont d'une autre condition et n'ont pas vraiment de considération. Elle sont
justes bonnes à la fermer et encaisser les désirs des hommes en gros.
Mais tout cela est encore une fois à remettre dans son contexte... En tous cas
on peut déplorer le peu d'évolution dans l'égalité des sexes sur une période
qui a cours sur près de deux millénaires. Il conclut quand même que cette
misogynie est plus culturelle que naturelle.
Ce qui m'a le plus dérangé ce sont les trop nombreuses interprétations
d'histoires antérieures de plus d'un millénaires et demi. Comme si il y avait
eu un désert de la Pensée entre l'Antiquité et la Renaissance. C'est comme s'il
construisait toute sa pensée uniquement d'après des interprétations des grandes
pages historiques et philosophiques de l'Antiquité. Chose qu'il condamne
lui même:
"Il y a plus à faire à interpréter les interprétations qu'à interpréter
les choses, et plus de livres sur les livres que sur autre sujet : nous ne
faisons que nous entre gloser."
Il a savamment réussi à s'attirer les sympathies de courants parfois
antinomiques de son temps et bien après;
son influence sur la philosophie moderne sont indéniables.
Content d'être arrivé au bout, bien que j'aie plusieurs fois été tenté
d'abandonner, de pouvoir ajouter à mon palmarès ce monument.
J'aurais peut-être du diluer la lecture
pour la rendre plus digeste et faisant des pauses. Ici je ne me suis octroyé
des pauses qu'entre les livres. Chose tout à fait arbitraire, car il n'y a
aucune suite logique entre les chapitres.