Alain Bombard - Naufragé volontaire




Alain Bombard - Naufragé volontaire

Je remercie la lecture récente de "Un corps tropical" de Philippe Marczewski qui m'a appris l'existence de cet aventurier médecin biologiste français qui a accompli l'exploit de la traversée de l'Atlantique en solitaire sur un canot pneumatique en 1952.
C'est donc plein de curiosité que j'ai loué cet ouvrage extrêmement passionnant qui relate ses péripéties!

Faisant fi des nombreuses légendes et inexactitudes qui ont entourés son périple, l'auteur a voulu lui même ramener la vérité au grand dam de ses nombreux détracteurs. Une envie d'expérimentation personnelle de la survie en haute mer a poussé cet original à avancer des théories nourries de nombreuses recherches sur la résistance de l'humain face à l'adversité.
L'ouvrage débute avec l'idée que l'être humain doit être suffisamment hydraté, reçoive un minimum de vitamines et de minéraux quotidiennement mais aussi qu'il ne sombre pas dans la folie et la terreur. Sa véritable motivation est de par son expérience pouvoir sauver des vies. En effet, les statistiques montrent que bon nombre de naufragés s'ils ne périssent pas du naufrage en lui-même, ne font souvent pas long feu une fois sur un frêle esquif.
Son but est de démontrer qu'il est possible de survire en mer uniquement avec les ressources dont on dispose (eau de mer, pluies, poissons, planctons...)
N'étant pas navigateur, il étudie à océanographique de Monaco les courants marins ainsi que la faune et flore. Aidé d'un mécène assez versatile et qui finalement n'aura pas vraiment les mêmes aspirations que lui, il se munit d'un canot pneumatique qu'il va baptiser "L'Hérétique" et veut d'abord se tester en Méditerranée. Il au début accompagné d'un comparse et va passer 18 jours avant d'atteindre la terre des Baléares. Après de nombreuses péripéties, tergiversations, allégations défavorables, il reprend le large cette fois pour l'immensité Atlantique en solitaire pour une durée de 65 jours en profitant des courants du Gulf Stream et des alizés pour atteindre les Caraïbes. C'est là qu'il va vraiment éprouver les affres de la survie qu'il considère avant tout comme une lutte contre le désespoir plus que contre la faim et la soif. Il y a comme une évolution dans la narration qui amène le lecteur peu à peu dans l'état d'esprit d'Alain Bombard dans ses pires moments.
Son expérience aura atteint son but, puisque par après, on a voulu maximiser les chances de survie des éventuels naufragés en équipant les bateaux de ce type d'embarcations accompagné de quelques éléments indispensables. Il recevra par la suite de nombreuses lettres de remerciements de personnes qui ont survécus grâce à ses conseils.
Passionnante aventure qui m'aura tenu en haleine durant trois jours !



 

Emily Dickinson - Menus abîmes

 




Emily Dickinson - Menus abîmes

A intervalles irréguliers, je m'offre une moment de poésie avec ces recueils tous posthumes. Comme on le sait, elle n'a quasi rien publié de son vivant. Celui ci en rassemble environ 250 soigneusement traduits par Antoine de Vial qui a pris l'audacieuse décision de leur donner un titre. Classés chronologiquement et originellement écrits au milieu des années 1800, ils sont parfois sobrement commentés et l'ouvrage se termine par une biographie et une analyse de l'univers dickinsonien.

Les thèmes habituels de cette poétesse comme la fascination de la mort, le doute quant à l'éternité et le voyage intérieur font partie du lot. Quelques textes m'ont bien touché, certains plus alors que d'autres me semblaient trop abstraits pour y saisir le sens.
Vu la brièveté intense coutumière de ses poèmes, je me permets d'en citer deux ici:


Chaque moment d'extase
Se paye -- œil pour œil -- dent pour dent --
De son équivalent d'angoisse
Rapport aigu et frémissant --
Pour chaque heure bénie
Que d'années faméliques --
Nos sous de gueux son récusés
Et nos coffres -- gorgés de larmes !
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Car en partant
Nous ne savons jamais--
Que nous partons --
Nous plaisantons
Et nous fermons la porte --
Le destin qui nous suit
La verrouille -- après nous --
Et plus jamais nous revenons --



Jérôme Colin - Les dragons




Jérôme Colin - Les dragons

Dans le rayon belge, j'ai pris au hasard ce nom connu du monde audiovisuel. Je ne savais pas qu'il s'était essayé à l'écriture, mais j'avoue avoir été un peu déçu de ce troisième roman sorti en 2023.
On a l'impression de lire un récit trop téléphoné pour ado. Alors peut-être est-ce un exercice salutaire pour l'auteur pour conjurer une enfance difficile, voire tenter de guider ses propres enfants à enjamber sans trop d'encombres les affres du passage vers le  monde adulte? Toujours est-il que ça se lit vite et qu'on dirait une galerie de stéréotypes destinés à arracher des larmes au lecteur. Les critiques ne tarissent pourtant  pas d'éloges, peut-être est-ce ce nivellement par le bas dont on pressent l'arrivée?

C'est l'histoire de Jérôme qui a vécu une jeunesse "à problèmes" et a été amené à fréquenter un centre d'aide psychiatrique. Il rêve à une vie de liberté, il hait la normalité de ses parents. Mais il finira par continuer cette sempiternelle boucle de la banalité de l'existence qui se répète et alimente pour une raison qui m'échappe la reproduction humaine. Il va côtoyer d'autres estropiés pire que lui qui lui laisseront une empreinte indélébile dans ses souvenirs.
Ce centre de réinsertion va quand même lui permettre de rebondir, d'être considéré et surtout va semer en lui l'amour de la littérature qui l'accompagnera par la suite. John Steinbeck sera comme un fil rouge dans cette histoire pour conclure sur des messages d'espoir pour le futur...



 

Henri Michaux - Ailleurs




Henri Michaux - Ailleurs

Deuxième tentative pour appréhender cet écrivain-poète et peintre belge né en toute fin du XIXème siècle. Cette fois j'ai été un peu plus convaincu par ce recueil paru en 1948 regroupant trois autres parus précédemment.
On commence avec "Voyage en Grande Garabagne", sorti en 1936 qui et une sorte de voyage dans un pays imaginaire et décrit les nombreuses tribus qui la peuplent. Il énumère ainsi diverses régions aux mœurs bien différentes qui ont toute quelque chose d'étrange, au fil des pages, cela devient un peu longuet, bien qu'on ressent une tendance croissante pour le surréalisme et on se dit qu'il aurait pu continuer comme ça indéfiniment...

"Au pays de la Magie" de 1941 nous entraine directement dans un monde délirant fortement poético-absurde, onirique, énumérant dans un désordre évident des coutumes biscornues. On nage en plein pays du surréalisme.

"Ici, Podemma" (1946) est presque de l'ordre de la science-fiction, principalement centré sur une sorte d'élevage d'humain en pot. Il y'a un coté dystopique qui d'une certaine façon critique la domestication à outrance.
Voilà qui m'a quelque peu réconcilié avec Henri Michaux, on verra pour la suite.


 

Erri de Luca - Trois chevaux

 




Erri de Luca - Trois chevaux

Autre découverte pour moi de cet auteur italien aux multiples casquette et j'en ressors ravi.
Ce court roman de 120 pages paru en 1999 m'a conquis et filé entre les doigts. D'une très belle écriture qui dégage une grande poésie, on a l'impression de virevolter entre le passé et le présent d'un homme qui peu à peu entre dans la fleur de l'âge. Torturé par son passé dans le Sud, il tente de recoller les morceaux et de saisir la vie qu'il tente de se ménager dans son Italie natale. Il y'a aussi une histoire d'amour qui tissera l'évolution du personnage.
Ce livre avait plusieurs atouts pour me plaire puisque le narrateur est grand lecteur et jardinier, il  évoque aussi un bref amour des sports de grimpe. On peut aussi palper la sensibilité de l'auteur pour un profond humanisme et un grand respect du monde ouvrier. Tout l'art de ce roman réside dans les suggestions plutôt que les grandes descriptions ainsi que cette facilité à imbriquer les souvenirs dans la vie actuelle. Au début j'ai été légèrement dérouté par cette narration erratique, mais elle permet de se glisser dans l'esprit du protagoniste principal qui a cette faculté à se perdre dans les émotions.
Merci à Catherine pour cette belle suggestion!


Jacques Josse - Ombres classées sans suite



Jacques Josse - Ombres classées sans suite

Découverte pour moi de ce poète français contemporain grâce à une critique de Des Livres Rances. Il semblerait d'ailleurs que le blog soit un aficionado de cet auteur prolifique!  J'ai pris au hasard et n'ai pas été déçu par ce court recueil de poèmes en prose paru en 2001. Illustré de dessins de Georges Le Bayon sur du papier vergé, j'ai plongé le temps d'un bout de soirée dans l'univers sombre de ces moments figés par la sensibilité de ces écrits. Intense, dense, noir et court à la fois, les pages se sont tournées sans hâte abordant un univers breton côtier, les bars et bas fonds, les blessés de la vie...
D'autres sont prévus au programmes ! 


 

San-Antonio - Prenez-en de la graine

 




San-Antonio - Prenez-en de la graine

Il était temps de s'octroyer une petite récréation entre le Livre I et le Livre II des Essais de Montaigne, et quoi de mieux pour se détendre qu'un petit San-Antonio?
Numéro 33 de la série où un curieux hasard va mener le commissaire et son compagnon Bérurier dans une aventure de cambriolage de tableau de Van Gogh dans le plat pays hollandais.
Je me suis bien fendu la margoulette de quelques couenneries comme :

 " Béru pose son bitos, dévoilant son crâne sanguin où végètent des tifs dont un corbeau ne voudrait pas pour tapisser son nid"

Ou " Béru sort d'une poche un ancien mouchoir dont une garagiste ne voudrait pas pour essuyer les jauges à huiles de ses clients".


Michel de Montaigne - Les essais




Michel de Montaigne - Les essais

Lire les Essais de Montaigne, c'est un peu comme se préparer à gravir un sommet ardu  ou démarrer une course au long cours. J'ai pris ça comme un challenge de plonger dans la pensée de ce philosophe et moraliste français du XVIème siècle cité par tant d'auteurs contemporains et cela m'aura pris environ un mois et demi.
Son œuvre principale publiée en 1580 est celle-ci et compte trois tomes divisés en 107 chapitres. Elle existe en diverses éditions et dans mon cas j'ai pioché une brique de l'intégrale de 800 pages actualisée en Français moderne.
 Il n'en faut pas moins s'accrocher au style assez lourd, aux phrases à rallonges et aux nombreuses digressions. J'avoue m'être souvent perdu dans ces longs soliloques, comme si j'avançais à pas lents dans une sombre jungle inextricable. Mais heureusement de temps en temps des clairières apportaient une lumière sur divers traits de ses démonstrations et menaient à une réelle réflexion personnelle.
Biberonné aux philosophes et poètes de l'Antiquité qu'il cite allégrement comme Cicéron, Sénèque, Plutarque, Horace, Lucrèce, Aristote, Socrate ... il tente pourtant d'exposer sa propre vision des choses. Il annonce dès le départ qu'il ne se pose pas en tant maître à penser, mais plutôt comme un compagnon de conversations avec son lectorat. Il faut dire qu'on peut remarquer une certaine évolution de sa pensée au fil du trio de livres écrits sur une durée de vingt années. On ne lui portera donc pas rigueur de certaines de ses contradictions qui se dessinent au grés de sa rhétorique. Cela aurait même tendance à montrer sa propre humanité. Il clame qu'il aime les joutes verbales et préfère les gens qui ne sont pas d'accord avec lui.
 " Je cherche à la vérité plus la fréquentation de ceux qui me gourment que de ceux qui me craignent. C'est un plaisir fade et nuisible d'avoir affaire à gens qui nous admirent et fassent place".

Il aborde dans le désordre les sujets les plus divers comme la mort, l'éducation, le temps, la vertu, la cruauté, l'âme, etc et différents témoignages de son époque.
De tout temps l'Homme a débattu sur son passage au trépas et a développé diverses angoisses auxquelles  il tente d'apporter un apaisement. Pour ce qui est de l'éducation, il prône un apprentissage moral et pratique qui ne s'encombre pas de théorie scientifique à outrance  qui serait comme une bibliothèque de l'âme qu'on remplit d'une inepte collectionnite,  mais d'un distillat qui nous serait utile à la vie de tous les jours. Il condamne le racisme de certains pour les "sauvages du nouveau monde" qui seraient finalement moins "sauvages" que certaines de nos pratiques de torture européennes. 
Le plus long chapitre s'appelle "Apologie de Raymond Sebon" et tourne autour des religions et différentes philosophies antiques qu'il nome sectes. Il est difficile de se forger vraiment une opinion de sa position théologique si ce n'est qu'il reconnaît l'existence de Dieu comme base de tout. Mais sans oser trop se mouiller il est plus volontiers critique de la morale antique que des dogmes du  catholicisme/protestantisme contemporain.  Pourtant on sent sa profonde admiration pour ces penseurs anciens mais souligne toutefois les nombreuses joutes philosophiques qui ont défié le temps. Comment peut-on vraiment s'y fier tant elles sont contradictoires et changeantes même chez certains théoriciens? Il rappelle la propension à la versatilité de l'esprit humain et renchérit que seul dieu est réellement immuable.

Les chapitres évoquent des thèmes relatifs aux vices et à la vertu des humains, se livrant de bon gré à des confidences sur sa personnalité ce qui fait comme l'annonce la préface, qu'au fil des pages on finit par avoir l'impression de connaître un bon ami.
Il parle aussi de son ami Etienne de la Boétie qui rappelons le est l'auteur du très avant-gardiste "Discours de la servitude volontaire" que je ne peux que conseiller !

Vers la fin du deuxième livre il y'a toute une tirade sur la Médecine qu'il examine au fil des siècles et des nombreuses contradictions et aberrations qu'elle a pu colporter et tire la conclusion qu'elle est à fuir.
Dans le troisième livre qui ramène vraiment plus à des confessions sur sa vie privée et pratique, il y a un long soliloque sur les "Femmes" qui sont d'une autre condition et n'ont pas vraiment de considération. Elle sont justes bonnes à la fermer et encaisser les désirs des hommes en gros.
Mais tout cela est encore une fois à remettre dans son contexte... En tous cas on peut déplorer le peu d'évolution dans l'égalité des sexes sur une période qui a cours sur près de deux millénaires. Il conclut quand même que cette misogynie est plus culturelle que naturelle.

Ce qui m'a le plus dérangé ce sont les trop nombreuses interprétations d'histoires antérieures de plus d'un millénaires et demi. Comme si il y avait eu un désert de la Pensée entre l'Antiquité et la Renaissance. C'est comme s'il construisait toute sa pensée uniquement d'après des interprétations des grandes pages historiques et philosophiques de l'Antiquité. Chose qu'il condamne lui  même:

"Il y a plus à faire à interpréter les interprétations qu'à interpréter les choses, et plus de livres sur les livres que sur autre sujet : nous ne faisons que nous entre gloser."

Il a savamment réussi à s'attirer les sympathies de courants parfois antinomiques  de son temps et bien après; son influence sur la philosophie moderne sont indéniables.
Content d'être arrivé au bout, bien que j'aie plusieurs fois été tenté d'abandonner, de pouvoir ajouter à mon palmarès ce monument.
J'aurais peut-être du diluer la lecture pour la rendre plus digeste et faisant des pauses. Ici je ne me suis octroyé des pauses qu'entre les livres. Chose tout à fait arbitraire, car il n'y a aucune suite logique entre les chapitres.