Serge Latouche - Bon pour la casse -
les déraisons de l'obsolescence
programmée
Deuxième approche de cet économiste français avec cet opuscule sorti en 2012 et
cette fois réactualisé en 2015.
Le sujet a déjà été développé par d'autres auteurs et m'a intéressé dans de
précédentes lectures, notamment Günther Anders ou Gilles Lipovetsky.
Les 3 ingrédients nécessaires nous explique Serge Latouche à la société de
consommation et pour créer une addiction à la croissance sont la publicité qui
crée le désir de consommer, le crédit qui en donne les moyens et l'obsolescence
programmée qui en renouvelle la nécessité.
Cela est bien connu que ces désirs de renouvellement se portent de moins en
moins sur des objets de grande utilité et de plus en plus sur ceux de
"haute futilité".
L'obsolescence se décline de plusieurs façons: technique, psychologique et
planifiée. Alors qu'on peut résister à la publicité, refuser de s'avilir au
crédit on est bien impuissant face à la défaillance technique des produits qui
est planifiée, incorporée à dessein par les fabricants.
Pour définir ce terme, il nous faut remonter au latin puis aux dictionnaires
qui ont vu évoluer le sens. Mais quoi qu'il en soit, l'histoire a toujours vu
ce succéder des évolutions qui ont relégué les anciennes au placard. La hache
en pierre polie à déclassé l'outil du paléolithique, qui a été dépassée par la
hache de bronze... la locomotive a mis au banc la diligence etc etc.
L'obsolescence planifiée est une invention américaine qui pourtant dans ses
débuts s'est heurtée au puritanisme et au conservatisme. Le col en papier
jetable apparaît fin 1800, puis préservatifs, serviettes hygiéniques, mouchoirs
(pour écouler le stock de coton cellulosique constitué lors de la Première
Guerre Mondiale), rasoirs. On passe à un autre niveau avec les voitures dans
les années 1930 avec une lutte entre Ford et General Motors. A la durabilité de
Ford, General Motors va commencer à induire une envie de changer de voiture
tous les 3 à 5 ans (après remboursement du crédit) avec de nouveaux modèles qui
sortent régulièrement. L'ampoule électrique fera l'objet d'une durée de vie fixée à
l'avance à 1000 heures d'utilisation par le Cartel Phoebus pour que l'économie
puisse tourner.
L' obsolescence psychologique sera
orchestrée par les phénomènes de mode qui organisent une désuétude
systématique. Il faut donner l'envie d'acheter à toutes les classes de la
société. Pour citer Daniel Bell " Les pauvres consommeront demain ce que
les riches consomment aujourd'hui".
En Europe, on se heurte à une certain tradition de la qualité d'origine
médiévale corporatiste. Le début de l'ère industrielle connaitra une tendance à
la qualité et la durabilité. De tous temps, le recours a la falsification a
souvent été de pair avec la notion de commerce. Acheter le moins cher possible
pour le revendre avec une maximum de profit. La culture de l'ersatz gagne
pourtant du terrain.
La sophistication des appareils offre de plus grandes occasions de panne. Avec
la mondialisation et l'arrivée massive du made in china couplée à la
raréfaction toujours plus grande de matériaux précieux, on est à l'opposé du
bon sens qui devrait inverser la tendance du toujours plus vite jetable.
L'invention du circuit imprimé en 1935 marque un tournant puisqu'il devient
impossible de réparer soi-même de si petits composants.
La culture suit la tendance avec ces livres et films qu'on remplace chaque
semaine avec du neuf dans un flot ininterrompu.
L'obsolescence alimentaire est un réel scandale, les dates de péremption n'ont
pas toujours de logique sanitaire. Dans une obsession de rendre tout toujours
disponible, cela provoque un gaspillage incroyable. Entre 15 et 18 millions de
tonnes de produits alimentaires sont jetés chaque année dans des pays comme
l'Allemagne ou la France. Cela représente entre 30 et 50% de la distribution.
Les magnats de l'industrie ont voulu nous faire accepter moralement que
consommer allait sauver le monde du chômage puisqu'il faut des travailleurs
pour produire à flux tendus des bricole inutiles à acheter avec l'argent gagné
par ces travailleurs. Cela était sans compter avec l'insoutenabilité écologique
que cela implique. Durant les Trente Glorieuses, les lobbies automobiles ont
lancé un vaste programme visant à démanteler le réseau de tramway au profit de
la construction d'autoroutes et l'expansion des fabriques automobiles. En
Europe, on a suivit le même schéma dans les année 60.
Sur ce sujet, je conseille fortement la trilogie d'Arte nommée "Une brève
histoire de l'automobile".
Toute la rhétorique des promotions, soldes, rabais nous transmet un esprit de
liquidation et de pertes de valeurs morales. Tout devient jetable, l'homme lui
même ne sert plus à rien est remplaçable à discrétion. Serge Latouche cite pas
mal d'autres penseurs surtout Günther
Anders comme je l'ai annoncé plus haut surtout en ce qui concerne l'inanité de
l'homme.
On se retrouve avec des monceaux de "déchets" à gérer, à recycler
tant bien que mal avec un sentiment d'avoir été trompé par la marchandise. Le
pire est que des appareils encore fonctionnels sont jetés pour cause
d'incompatibilité avec les nouvelles technologies ou par caprice de
consommation. Pollution, raréfaction des ressources, conquêtes de terre à haut
potentiel de métaux rares.
Cela fait quelques décennies qu'on tente de faire prendre conscience au monde
cette spirale infernale. Des voix s'élèvent comme par exemple des procès
intentés à Apple qui s'obstine a prévoir des batteries intégrée qui ne se
remplacent pas ou encore des chargeurs spécifiques, ou escroque l'acheteur et
magouillant le service de garantie de 2 ans obligatoire en UE etc. Apple s'en contrefout
et préfère payer des amendes dérisoires que de changer sa stratégie de vente.
Ce n'est qu'un chainon de cette grande course qui fonce dans le mur dressé
d'une planète qui a ses limites. Nous avons pourtant les cartes en main pour
inverser la tendance: nouvelles technologies qui techniquement permettraient de
fabriquer des produits vraiment durables et résistants dans le temps. C'est
juste un manque de volonté flagrant au nom d'une société basée sur la
croissance infinie. Abondance frugale et résilience sont une manière
d'envisager un formidable coup de frein, sans pour autant sombrer dans la
misère et l'ascétisme. Pourquoi ne pas partager certaines machines de qualité
qui nous facilitent la vie, accepter de ne pas manger des fraises en décembre et
changer nos habitudes consuméristes? Penser des machines qui peuvent évoluer,
se réparer, imposer des quotas comme pour la pêche des ressources
renouvelables. Plutôt que de se frustrer de ne pas posséder le dernier gadget à
la mode tout de suite, mieux vaux s'émerveiller de petites choses offertes par
la nature.
Pour citer Lucrèce " Mais si tu désires toujours ce que tu n'as pas, tu
m'éprises ce que tu as, ta vie s'est donc écoulée sans plénitude et sans charme
; et puis soudain la mort s'est dressée debout à ton chevet avant que tu
puisses te sentir prêt à partir content et rassasié".

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