Leslie Stephen - Eloge de la marche




Leslie Stephen - Eloge de la marche

Derrière ce titre élogieux se cachent trois courts essais de cet auteur-pionnier anglais de la fin du XIXème siècle peut-être trop méconnu en francophonie vu le peu de références que je trouve à son sujet?
Pourtant sa fille, Virginia Woolf, est plus célèbre et c'est elle qui signe la préface de ces mémoires paternelles.
Dans un style limpide, comme s'il s'efforçait d'employer le moins de mots possible, on commence avec "Eloge de la marche " (titre homonyme de David Le Breton d'ailleurs) où l'auteur se justifie de sa passion pour le pédestrianisme. Il se garde d'y voir là une sorte de défi sportif régit par la performance à tout prix. Comme d'autres avant lui, il remarque que c'est lors de cette activité que l'esprit s'ouvre, travaille et vagabonde à qui mieux mieux. Il cite d'abondantes références littéraires anglaises mais affirme contrairement à bon nombres de ses prédécesseurs et contemporains, son manque de culte pour une entité supérieure.
"Un coucher de soleil au Mont Blanc" décrit ce monarque des Alpes avec admiration, respect, crainte et tente de retranscrire son ébahissement quasi pictural lors de ses ascensions. Il décrit surtout la beauté d'un coucher de soleil vécu sur le toit de l'Europe qui n'a été admiré à l'époque que par très peu de monde.

"Nous avions le temps de rassembler nos esprits, d'éveiller notre puissance d'observation et de nous préparer pour le grand spectacle qui s'organisait déjà. Il y en avait eu tant de répétitions que l'on pouvait être assuré d'une représentation parfaite. Pendant des millions d'années, les lumières et la transparence de la mise en scène s'étaient fait valoir sans qu'il y eût œil humain pour regarder, une paire de mains pour applaudir".

" On appartient toujours à la terre; car les doigts de pied glacés, le bout du nez pincé par la neige, tout cela vous rappelle qu'on n'est pas devenu immortel. Même au somme du Mont Blanc, on est très loin du ciel".

On termine ce recueil condensé par "Les Alpes en hiver" où cet alpiniste s'abstient presque de s'abaisser à la description trop poussée de cet environnement sublime de peur de souiller par des mots la beauté montagnarde. Il y fait un bref descriptif de la vie pastorale hivernale en comparaison avec le tapage touristique de l'été.
Une sorte de cube bouillon concentré d'émerveillement qui ne laisse pas trop de place à de longs épanchements poétiques.


 

Franz Kafka - L'Amérique




Franz Kafka - L'Amérique

Je m'étais essayé il y a longtemps à Kafka et il m'était un peu sorti de la tête jusqu'à une référence à  cet ouvrage "l'Amérique" dans les entretiens avec Nicolas Bouvier lu dernièrement. Je me suis donc lancé dans la lecture de ce dernier roman inachevé publié  en 1927, trois ans après la mort de Kafka.
Le début est assez lourd dans le style où beaucoup trop de détails viennent ralentir le début de l'intrigue. Peut-être que cela participe à instaurer l'ambiance où l'on va suivre le parcours de Karl Rossman qui débarque à New-York d'Allemagne car il s'est fait dégager par ses parents vers ses quinze-seize ans . Ces derniers le prennent déjà pour un raté et ne présagent rien de bon pour son avenir.
L'histoire va leur donner raison puisque Karl enchainent les déconvenues, les injustices et sa naïveté l'amène à des situations quasi inextricables.
Tout au long du récit on aura pitié de sa malchance et l'on sera même mal à l'aise devant cette avalanche d'avaries. Les humiliations se suivent dans des réactions en chaine qui découlent de quelques imprudences et d'une candeur perpétuelle. S'il veut aller de l'avant, Karl doit se battre pour trouver une place dans une société qui l'ignore, qui le méprise.

Dans cette version il manque un bout de l'histoire vers la fin et donc on est un peu étonné de voir arriver un semblant d'amélioration à sa situation. On flotte même dans une espèce de fantastique avec le Grand Théâtre de l'Oklahoma. On reste un peu sur sa faim vu que l'œuvre est inachevée mais il en ressort, je trouve,  une forte impression quand on referme le livre.


 

Georges Picard - Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place




Georges Picard - Merci aux ambitieux de s'occuper du monde à ma place

Au départ je cherchais "Le vagabond approximatif" puis j'ai été interpellé par les titres amusants que l'auteur propose. Je me suis donc laissé tenter un peu au hasard. J'ai été charmé par le style un peu nonchalant de cet essai tout plein d'ironie sur le monde qui nous entoure.
Cet ouvrage est présenté comme une lettre que l'auteur adresse à un ami, en réponse à sa dernière lettre reçue il y a quinze ans. On ressent une sorte de mélancolie de leurs discussions enflammées baignées dans la philosophie et puis les points de vue qui changent avec le temps. Cette espèce d'admiration du stoïcisme bien difficile à mettre en œuvre se heurte aux difficultés du quotidien,  à rester de marbre face aux nombreuses injustices. Tout bon penseur de l'humain devrait rester un minimum en contact avec les gens au lieu de s'enfermer en autarcie avec soi-même et prétendre avoir compris l'autre. Georges Picard entretient régulièrement sa sociabilité dans les cafés populaires quitte à débiter quelques banalités idiotes pour ne pas trop ressentir la méfiance d'ordinaire dirigée vers les taciturnes.
Cet espèce de monologue part un peu dans tous les sens, on a l'impression que ça pourrait continuer comme ça pendant des pages et des pages, mais l'écrivain à su se contenir à 150 pages tout pile! Cette retenue donne un ouvrage vivant qui descend tout seul.


 

Edward Abbey - Un fou ordinaire

 




Edward Abbey - Un fou ordinaire

" Et nous, misérables créatures humaines avec nos innombrables outils et jouets et peurs et espoirs ne sommes qu'une petite feuille sur le grand arbre efflorescent de la vie." Voilà une phrase qui peut résumer à elle seule ce magnifique ouvrage de cet héritier moderne de Thoreau et digne successeur de John Muir qu'était Edward Abbey.
Le livre se découpe en plusieurs récits qui portent aux nues la magnificence des paysages désertiques de l'Ouest des Etats-Unis. Etalées sur toute sa vie qui se termine en 1989, l'auteur nous raconte ses rencontres avec la vie sauvage en Arizona, Colorado et même Alaska et fait peu de concessions au monde contemporain.  Tour à tour caustique envers la technologie et en pamoison devant la beauté simple ainsi que le silence du Rien, il nous décrit non sans humour les inconforts du manque d'eau du désert qui agit sur lui comme un aimant, mais surtout une grande connaissance de la faune et la flore. On sent déjà les prémices de la bétonisation galopante qui grignote les espaces de nature au nom de l'accessibilité du grand public, mais aussi de la rentabilité et de l'utilitarisme. Constructions de barrages qui défigurent à jamais ces étendues de roches éternelles ...

La Nature, ça se mérite et aucune agence de voyage gonflée de dollars ne pourra jamais réellement faire apprécier son gout de liberté, une paire de bottines, un sac à dos et de couchage sont à la portée de tout un chacun.
N'attendons plus et partons à l'assaut du monde avant que la surpopulation n'ait raison des derniers espaces indomptables et indomptés... Enfin non il est déjà trop tard.


Daeninckx Didier - Le facteur fatal




Daeninckx Didier  - Le facteur fatal

J'avais découvert cet auteur français étant ado dans la série Le Poulpe et un pote m'a replongé dedans en me passant "Itinéraire d'un salaud ordinaire".  Depuis j'ai intercalé d'autres de ces bons polars dans mes lectures variées.
Une ambiance de banlieue française sombre et poisseuse ponctue ces romans policiers. On y sent un vive mais subtile critique de la police, de l'injustice à tous les étages. Le thème du colonialisme français et ses conséquences sont souvent au centre des fictions. Une sorte de morale en ressort mais aussi une incroyable tristesse de ce que l'humanité a à nous offrir de plus sombre.
Le Facteur Fatal clôture en 1990 la série des enquêtes de l'inspecteur Cadin si friand de faits divers. Cette espèce de justicier du pauvre dénoue les plus mauvaises histoires de meurtres bien souvent dans le monde ouvrier. Ici et sous formes d'une suite de nouvelles,  il s'agit d'une sorte de biographie du protagoniste tout au long de ses déménagements. C'est comme si c'était des "side story" de l'enchainement des romans précédents. Une manière originale de l'auteur pour tourner la page définitive de l'inspecteur Cadin. 


 

Nicolas Bouvier - Œuvres

 




Nicolas Bouvier - Œuvres

J'ai dévoré ou plutôt dégusté sur une période de plusieurs mois tous les livres de cette brique de 1400 pages, entrecoupé d'autres lectures, histoire de varier. C'est encore une fois grâce à une référence de David Le Breton que j'ai découvert ce suisse écrivain, photographe, iconographe et surtout grand voyageur peut-être trop peu connu ?
J'ai tout de suite bien accroché avec sa prose un peu poétique et pleine d'intelligence. Son premier et peut-être plus long opus "L'usage du monde" raconte son périple en Fiat Topolino de 1953 à 1956 de Zagreb jusqu'en Inde.  Il ira par la suite se perdre à Ceylan où il finira par s'extraire de cette ambiance noire. pour naviguer vers le Japon. Il s'établira là bas pendant plus de 3 ans avec quelques incursions en Corée du Sud et ne Chine où il enchainera les petits boulots. De retour en Suisse où son travail d'iconographe lui prendre du temps, il se rendra après en Irlande et les Iles d'Aran, les Hébrides, l'Ecosse pour terminer son tour du monde dans l'Ouest américain. Les publications littéraires se succèdent avec "La descente de l'Inde", "Chronique japonaise" puis "Le Poisson-scorpion" plus caustique rédigé rongé par les maladie dans les vapeurs d'alcool. Il s'essaiera même à la poésie avec "Le dehors et le dedans".
Suivront des récits plus courts " Voyage dans les Lowlands", "Journal d'Aran et d'autres lieux". Son travail de recherche d'images le conduira à publier "L'art populaire en Suisse", "Histoire d'une image", "Le Hibou et la baleine" puis de très courts récits plus intimes autobiographique " La chambre rouge" et "La guerre à huit ans". Cet impressionnant recueil termine par "Routes et déroutes", un entretien avec Irène Lichtenstein-Fall.
Un condensé d'une époque pas encore rongée par le tourisme de masse qui donne a postériori l'envie de partir à la découverte du Monde.