Aldo Léopold - Almanach d'un comté des
sables
C'est bien l'œuvre la plus classique de ce forestier et écologue
américain paru en 1949. Cela se présente comme un calendrier qui suit les
observations à faire dans la nature mois après mois. En tous cas dans le
Wisconsin. La première partie du livre est l'almanach proprement dit, le cycle
de la chaine alimentaire y est souvent décrit de manière poétique. Suite à un
coup de foudre, un arbre vénérable est scié ce qui rappelle par les nervures le
passé auquel il a survécu et les déconvenues écologiques qui ont conduit à ce
glissement vers le désastre. Observations de danse de la bécasse, migration des
oies, émerveillement devant le spectacle de la nature des oiseaux donc surtout
mais aussi de la sylve. Partie de pèche presque commentée comme une course
automobile, traque-chasse au perdrix, ...
C'est étrange ces défenseurs de la nature qui chassent et pêchent en déplorant
la disparition de telle ou telle espèce... Mais c'est comme si Aldo Léopold
appartenait encore à ce âge d'or où l'on pouvait encore trouver des vrais coins
sauvages non souillés par la présence humaine, qu'on pouvait prélever une vie
sans pour autant tout foutre en l'air. En utilisant allègrement
l'anthropomorphise, il permet une meilleure assimilation d'images propres à qui
sait faire changer la conscience du lecteur ignorant des considérations
écologiques.
"Quelques Croquis" est divisé
en plusieurs états d'Amérique. Chapitres courts dans une sorte d'humour amer,
une fois de plus l'humain qui détruit tout au nom du progrès faisant fi de la
biodiversité et cassant sans pitié l'alchimie de la nature. En se débarrassant
d'une espèce qui l'empêche de confortablement se chauffer, élever du bétail ou
encore cultiver le blé, il provoque un déséquilibre aux multiples conséquences
en chaine qui mènent vers le néant. Quand on a bien appauvri le sol de son
milieu, pas grave il suffit d'aller un peu plus à l'Ouest où les Indiens furent
poussé dans leurs retranchements à mesure de l'homme blanc conquérait ce
nouveau monde à sa merci. Chaine alimentaire dont l'homme fait partie mais qui est
le champion pour faire tanguer ce fragile équilibre. Le pionnier européen n'a
pas fait qu'amener les maladies humaines, aussi son lot de pathogènes et de
plantes invasives. Cela couplé au surpâturage et vous obtenez une terrain
fertile aux grands incendies dont sont plus que jamais victimes certaines
régions aujourd'hui. L'assèchement des marais pour en faire des monoculture de
blé ou de maïs, détruit tout un biotope qui ne reviendra jamais.
Changement de ton avec la troisième partie nommée "En fin de compte"
qui s'apparente vraiment à des considérations philosophiques, militantes et moins purement naturalistes. Bien sur on ne
baigne pas dans l'optimisme. Après l'exode rural, le citadin en quête de Nature
court les campagnes pour se donner un bol d'air, pour retrouver ce contact
originel perdu. A grand renfort de route, d'industrie du tourisme il vient
saccager ce wilderness. Pour alimenter ce business de la chasse et la pêche, on
élève du poisson ou du gibier pour satisfaire cette soif de combat atavique et de
domination sur notre environnement; on
les lâche dans la nature et que les cannes à pêche et les fusils soient sortis
des coffres des voitures qui vont de plus en plus loin grâces au nouvelles
routes. Bien sur cela crée des problèmes: disparitions des prédateurs naturels
(tués par l'homme), prolifération d'espèces artificialisées de faune qui ne
permettent plus la régénération naturelle de la flore puisque il y a trop
d'animaux qui doivent se nourrir. Quelle fierté de ramener son trophée de
chasse!
Les hordes d'excursionnistes en quête de la photo du spot parfait sont
peut-être un moindre mal, mais 70 ans plus tard ou tout devient instagramable,
je ne serais pas aussi indulgent.
Cette recherche de la nature sauvage à laquelle certains aspirent est
complètement pipée. Edward Abbey quinze ans plus tard n'a pu que confirmer et
déplorer cette tendance galopante d'humanisation des espaces. On baigne dans
une culture du sparadrap, dès qu'une maladie de la terre se présente, on tente de la régler à coup de
pesticide, d'introductions de nouvelles espèces non endémiques sans s'attaquer
à la cause du mal. Les espèces domestiques introduites dans des pâturages
propagent aussi les maladie aux espèces sauvages. L'érosion vide les terres
arables et déverse tout dans les rivières.
Il faudrait une véritable éthique de la terre plutôt que des bureaux de
protection de l'environnement juste bons à légiférer les chemins accessibles
aux touristes. Quand l'humain comprendra qu'il n'est qu'une pièce du grand
puzzle du biote et qu'il cessera de se tirer des balles dans le pied, qu'il
participe activement à son déclin, une véritable conscience écologique pourra
peut-être stopper le couperet. Il est illusoire de penser qu'on peut faire
confiance à l'Etat pour s'occuper de la sauvegarde, le travailleur de la terre
n'a que faire d'une éthique de l'après-demain si ça ne lui rapporte quelque
chose de profitable demain. On n'est pas plus avancé avec une population de
plus en plus hors sol qui se contente du confort synthétique du progrès sans
aller chercher plus loin que sa nourriture vient du supermarché.
Seul un vrai changement de notre considération de la terre qui doit aller au
delà du seul aspect économique sera notre salut.

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