Hermann Hesse - Le loup des steppes




Hermann Hesse - Le loup des steppes

On peut appeler ça un coup de cœur car ça n'arrive pas si souvent qu'on soit ébranlé positivement par un roman. Il m'arrive d'être passionné par des essais, des traités qui mènent à une ébullition mentale. Mais ce roman initiatique coche vraiment toutes les cases de ce qu'il fallait pour faire vibrer diverses cordes de la harpe de ma vision du monde. Pour chicaner, je dirais que c'est un poil trop optimiste et finalement trop moraliste...
Je remercie chaleureusement Des Livres Rances qui m'a donné envie de m'y attaquer.

C'est une sorte d'histoire schizophrénique et quelque peu autobiographique entre un "loup des steppes" vieux, cruel, fort, désabusé, sauvage, solitaire et un homme qui fut dans sa jeunesse sensible, sociable, amoureux et désespérément humain. Ces deux personnalités ne cessent de se chamailler, mais une lente prise de conscience va lui faire réaliser que cette vision manichéenne de l'individu est biaisée. Il existe une infinité de moi qui ne cesse de changer de jour en jour.
L'existence est en fait une sorte de petit théâtre où l'on peut à sa guise fureter entre les rôles équivoques et briser cette vision dualiste, une grande partie d'échecs à géométrie variable qui ouvre toutes les perspectives. Ses souffrances multiples le faisaient glisser d'après lui inéluctablement vers l'acte suicidaire, mais peut être ne faut-il pas simplement occire le malfaisant loup des steppes et vivre?

Sa rencontre avec la dénommée Hermine n'est-ce pas finalement ce combat entre son loup des steppes et lui même ? Un dialogue avec un miroir, une tentative de démolition de ses démons de la contradiction?

Le bourgeoisisme est la personnification de cette tempérance entre la vie de saint et la vie d'un débauché, un "couci-couça" méprisable. Il est préférable de s'abandonner aux grandes jouissances ou alors aux souffrances mais ces journées ponctuées d'aucun haut ni d'aucun bas sont tout simplement horriblement banales et fades. Il se rend compte qu'il est finalement devenu ce qu'il déteste le plus dans cette sorte de confort du prévisible. Partagé entre sa haine de lui même et de ces autres qui continuent leur vie insouciante, il se fatigue dans son dédain.

Hermine lui apprend à apprécier le moment présent ce qui semble inimaginable pour le "sage" qu'il est. Il y a comme une dissonance cognitive entre cette soif de grandeur d'âme et ce mépris de la société du spectacle et puis les plaisirs simples et naïfs de la plupart de ses contemporains.
Quand il commence à toucher une sorte de félicité pusillanime, il se rend compte qu'il n'est pas heureux, il y a comme un manque de souffrance. Ce monde n'est pas à sa hauteur, il sera éternellement apatride. La société n'a que faire de torturés de l'esprit. Ceux là qui se tourmentent pour ne côtoyer que les hautes sphères de l'art qui atteignent la grande béatitude et regardent de haut le petit peuple qui s'abîme dans les bas fonds de la musique populaire, qui ne fait que danser et sourire. Accablé de la tournure du monde, il n y a qu'à tournoyer dans un fox trot pour ne pas voir la vérité en face. Le seul guide est la nostalgie et le seul salut l'éternité, l'universalité, l'immortalité de ses idoles.
Il faut d'abord apprendre à rire de soi même, arrêter de se prendre au sérieux, et là peut-être il pourra enfin croquer la vie.

On pourra aussi apprécier de son vieux moi un fond anti militariste d'entre deux guerres, il s'oppose fermement aux idéaux nationalistes. Il se dit sans patrie et humaniste, ce qui contredit un peu cette espèce de haine contre l'humanité. Il perd un peu l'espoir d'un changement de mentalité de la masse, sorte de donquichottisme sans issue. Il y a aussi un rejet du monde moderne, de la machine, de la surpopulation...
Une œuvre parue en 1927 qui tente de briser nos turpitudes et essaie de nous glisser en main le trousseau des clés du ravissement.


 

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