Theodora Kroeber - Ishi




Theodora Kroeber - Ishi

C'est grâce à une référence de Bruno Léandri que j'ai entendu parler de ce livre sorti en 1960.

Ishi fut le dernier indien "sauvage" d'Amérique de l'Ouest à être retrouvé vivant en 1911 par les blancs. La colonisation et la ruée vers l'or ayant réduit comme peau de chagrin les espaces de vies des dernières tribus amérindiennes, il n'en est finalement resté plus qu'un qui, paniqué a fini par rencontrer la vague terrible de la modernité. Des anthropologues sont arrivés à la rescousse du rescapé après qu'on l'ai découvert caché dans un abattoir puis mis à l'abris des curieux en prison.
Avec attention et respect, Kroeber et Waterman ont tenté de retracer la tragique histoire de son peuple les Yana et sa sous-tribu Yahi.

Dans la première partie on prend un peu de recul pour tenter de comprendra la situation géographique et géologique de la Californie ainsi que les différentes peuplades qui la composait avant l'arrivée des conquistadors. Différentes langues et dialectes y étaient pratiqués et la vie faite de chasse, pêche et cueillette suivait son cours multimillénaire en entretenant une certaine diversité entre les ethnies qui cohabitaient plus ou moins en paix. Tableau peut-être trop idyllique d'une existence pouvant être rude d'un point de vue occidental et ponctuée de conflits.
Mais les choses ont commencé à se corser pour les autochtones lorsque les différentes phases coloniales ont intensifié la pression des appropriations territoriales.

Alors qu'avant 1850, l'invasion hispano-mexicaine s'avérait modérée d'un point de vue du ratio (1 indien pour 10 espagnols) mais aussi par une forme de métissage chrétien, le torrent anglo-saxon ultra raciste a complètement fini le massacre avec un moment paroxystique durant la Guerre de Sécession. Maladies, viols, meurtres, pillages ont eu raison de ces peuples les uns après les autres.
Mythes et légendes ont entretenu le côté violent des indiens qui tentaient juste de se défendre ou se venger contre les nombreuses exactions commises par les plus cruels des mercenaires avides d'or. Ceux ci souvent vidés de toute morale par un très long périple en terre inconnue et inhospitalière ont libérés leurs plus bas instincts contre ces populations multiséculaires qui habitaient là bas. La littérature qui raconte les traques des indiens fournit de nombreux détails horribles de ces exterminations souvent gratuites.

Les Yahi (dont Ishi est issu) ont subi nombreux assauts et perdu une grande partie des leurs.
C'est peut-être leur côté opiniâtre ainsi que leur situation particulière isolée dans les montagnes arides qui explique leur longévité par rapport aux autres peuplades décimées. Contraints à une poignée d' individus à vivre pendant près de 40 années dans la clandestinité, leur langue, coutumes ont peu à peu glissé dans l'oubli.
Alors que les derniers survivants avaient installé leur micro village camouflés dans le chaparral et vivotaient de menus larcins vu que leur espace de chasse devenait de plus en plus exposé, ils ont finit par être débusqués par un groupe d'arpenteurs qui prenaient des mesures pour la construction d'un barrage. Les 5 ultimes Yahi se sont dispersés et rapidement morts sauf Ishi qui encore vécu 3 années seul avant de se faire capturer mourant de faim.

La deuxième partie du livre porte sur la vie d'Ishi (nom d'ailleurs attribué à cet indien qui n'a jamais voulu donner son vrai patronyme) après sa reddition. Il est rapidement mis à l'abri au Muséum d'anthropologie qui va devenir sa maison. S'en suit une véritable vague de curiosité pour venir voir le Sauvage, les offres ne manquent pas pour engager cette bête de foire à exhiber à travers l'Amérique. Les anthropologues qui l'encadrent repoussent ces charlatans mais organisent des visites du public pour voir Ishi. Il adopte peu à peu les us et coutumes de la civilisation, devenant même concierge adjoint et recevant un salaire, il apprend les rudiments de l'anglais. Il devient intime avec quelques personnes qui se comptent sur les doigts d'une main avec lesquelles il établit de véritables échanges. Il va devenir un authentique vestige vivant de l'âge de la pierre qui va inlassablement rejouer sa vie d'antan devant les yeux ébahis des nombreux visiteurs. Feu par friction, fabrications d'outils et d'armes, de bijoux... toutes ces techniques ancestrales sont bien expliquées.
Ses amis docteurs qui en anthropologie qui en médecine, le convainquent de les emmener sur les terres des ses ancêtres pour une semaine de mise en situation. D'abord rétif, Ishi finit par se prendre au jeu de la visite guidée in situ mais c'est lui qui voudra le premier rentrer "chez lui" au muséum.
Il finira sa vie fauché par la tuberculose, maladie typique des blancs.

Théodora Kroeber, épouse d'un de ses plus proches amis blanc, a voulu rendre hommage au dernier indien sauvage des Etats-Unis. Cette émouvante histoire nous prouve qu'homo sapiens n'a pas constitutionnellement changé depuis 300 000 ans et qu'un homme préhistorique congelé qu'on réveillerait aujourd'hui pourrait tout à fait s'adapter à notre monde.


 

Xavier de Maistre - Expédition nocturne autour de ma chambre




Xavier de Maistre - Expédition nocturne autour de ma chambre

30 ans après son "Voyage autour de ma chambre", en 1825, il remet le couvert avec cette suite dans une autre chambre mais cette fois pour une durée de seulement 4h. C'est encore une fois une sorte d'ovni littéraire qui oscille entre introspection philosophique sans lourdeurs et suite de sketchs comiques enchainant les courts chapitres, pleins d'autodérision. Son imagination et sa propension (comme sa Tante) à la digression lui font parfois perdre le fil. Inventeur d'une nouvelle façon de faire l'amour ainsi que de voyager à cheval sur son appuis de fenêtre les yeux tournés vers les astres.

Un chouette petit bijou à dévorer d'une petite centaine de pages qui fut exhumé de l'oubli par le confinement apparemment.  


 

Françoise Héritier - Le sel de la vie




Françoise Héritier - Le sel de la vie

Cette anthropologue française féministe auteure de plusieurs ouvrages sur la "valence différentielle des sexes"  ainsi que sur les différences construites,  parfois cosigné avec ses compagnons de l'époque (Marc Augé notamment) s'est un peu lâchée sur la fin de sa vie.

Ici il ne s'agit pas d'un écrit anthropologique mais plutôt d'une lettre à un ami sortie en 2012.
Elle tente d'ouvrir les yeux dudit ami qui a tendance à s'esquinter dans le travail et de passer sans doute à côté de beaucoup de petits plaisirs de la vie.  Elle l'encourage à s'en remettre à ses cinq sens pour juste apprécier de simples instants. Tout le monde n'a sans doute pas l'occasion de voyager et de vivre autant d'expériences que l'écrivaine, mais la plupart sont à la portée de tout un chacun.
En moins d'une centaine de pages, elle nous déblatère une série presque ininterrompue de situations, de faits parfois insignifiants qui peuvent quelque peu pimenter l'existence. Tout devient au fil du texte de plus en plus spécifique et à la fin on pourrait trouver ça un peu longuet ... On peut comparer ça à une sorte d'exercice de style à la mode surréaliste.



 

Xavier de Maistre - Voyage autour de ma chambre




Xavier de Maistre - Voyage autour de ma chambre

Récemment, j'avais appris l'existence de cet auteur grâce à " Jean-Claude Pirotte - Expédition nocturne autour de ma cave". C'est donc avec une certaine curiosité que j'ai englouti ce petit ouvrage d'une centaine de pages sorti en 1795 !
Et pour cause, son parcours atypique de savoyard (qui a participé à l'un des premier vol en Montgolfière) mort en Russie qui fut à la fois peintre et militaire au service d'Alexandre Ier de Russie avait de quoi étonner.
C'est lors d'une d'assignation à résidence dans une chambre dans la Citadelle de Turin durant 42 jours - punition à cause d'un duel -  qu'il écrivit ce premier récit.
Bourré d'humour et même d'une incroyable modernité, on divague, on digresse dans ce carré de 36 pas de tour. Le mobilier est présenté avec soin ainsi que des estampes qui décorent les murs. Les visites d'un domestique nommé Joannetti rythment quelque peu cette vie de reclus temporaire mais aussi de son chien. C'est surtout finalement une sorte de soliloque facétieux et philosophique sur l'espèce de dichotomie qui peut diviser le corps et l'esprit. Rêves d'amour mais aussi de quelques antiques figures qui hantent ses songes.
Le jour de la libération finit par arriver, mais peut-on vraiment parler d'une liberté retrouvée?


 

Christian Boué - Produire ses graines bio




Christian Boué - Produire ses graines bio

Produire des légumes dans son potager est déjà un défi en soi mais produire et récolter ses propres semences demande quelques attentions supplémentaires.

Après quelques notions de génétiques, l'auteur nous explique comment mener au mieux cette forme d'autonomie mais qui est aussi un métier à part entière. Techniques générales, distance pour éviter les hybridation non désirées, moyens de récolte, dates, séchage, stockage et étiquetage...
Ensuite on peut consulter des fiches spécifiques pour chaque espèces de légumes, aromatiques ou fleurs parmi les plus courantes. On se rend bien compte que l'exercice est très simple pour certaines plantes mais nettement plus compliqué pour d'autres. Cette édition a été remaniée en 2021.


 

Olivier Sacks - L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau




Olivier Sacks - L'homme qui prenait sa femme pour un chapeau

Ce médecin, neurologue et écrivain britannique qui a vulgarisé le langage scientifique a participé grandement à rendre plus compréhensible l'autisme au grand public. Mais aussi d'autres pathologies au cours de sa carrière débutée dans les années 1960.
Cet ouvrage paru en 1985 rassemble une série d'articles qu'il a publié dans différentes revues fin des années 1970 sur des patients qu'il a pu observer et soigner.

 Je me suis parfois un peu perdu dans les termes médicaux mais heureusement, cela n'a pas empêché la compréhension générale des nombreux  "cas".  Divisé en quatre parties, on est d'abord confronté à des phénomènes de "pertes". Amnésies, agnosies, paralysies partielles cérébrales qui font oublier une partie de la vie de ces personnes qui se retrouvent handicapées suite à des accidents ou des chocs traumatiques. Ou alors le cas inverses d'excès en tous genres: hyperactivité, tics, tocs...
Hallucinations musicales ou visuelles, réminiscences sont autant de situations qui sont susceptibles de mener à une sorte d'enfer mental pour celui qui la subit. On termine par "les simples d'esprits" qui peuvent s'avérer dotés d'une incroyable forme d'intelligence mathématique ou artistique. Sans jugement, l'auteur nous explique que parfois il n'y a rien à faire, juste tenter de rendre supportable la vie de ces écorchés. Ces anomalies du cerveau peuvent devenir passionnantes d'un point de vue d'un neurologue voire toujours mystérieuses malgré les progrès de la recherche. Il y'a une forme de génie souvent ignorée pour ces laissés-pour-compte qui ne demanderait qu'à être reconnue ou encadrées pour leur permettre de s'exprimer. Le livre se termine par une abondante bibliographie avec des auteurs phares dans le domaine: Hughlings Jackson, Kurt Goldstein, A. R. Louriia... sans doute moins accessibles pour des néophytes.


 

Donald Ray Pollock - Une mort qui en vaut la peine




Donald Ray Pollock - Une mort qui en vaut la peine

Après l'excellent "Le Diable, tout le temps" sorti en 2011, l'auteur nous gratifie de ce second roman aux allures de western en 2016. Je crois pouvoir dire que j'ai préféré celui ci qui atteint les 563 pages.
J'ai parfois du mal avec les nombreux personnages aux histoires imbriquées mais là l'écrivain a réussi un coup de maitre. L'organisation du récit qui divague parfois dans des petits apartés de certains protagonistes secondaires donnent de l'authenticité et brosse un portrait varié d'une Amérique en pleine préparation avant d'entrer dans le conflit de la Première guerre mondiale.  Il y est souvent question de misère, de violence, de coups bas, d'arnaques, de grande naïveté. Une roman parfois poisseux mais aussi doté d'une solide dose d'humour noir.

On pourrait comparer l'histoire à celle des Trois Petits Cochons, en effet trois frères aux personnalités très variées se retrouvent à courir le monde à la mort de leur père. Lassés d'une vie d'esclave agricole, ils veulent gouter au confort et à la grande vie et commencent une existence de hors la loi en cavale, enchainant les vols et même les meurtres. L'un d'entre eux est un peu simplet et s'intéresse juste à la bouffe, le plus jeune est un peu trop fougueux en recherche de plaisirs immédiats tandis que l'ainé est plus posé et réfléchi.
D'autres histoires viendront se mêler savamment à la leur sans jamais paraître superflues.
Peut-être qu'on aura droit à d'autres productions de cet auteur, en attendant il me reste à découvrir son recueil de nouvelles sorti en 2008 "Knockemstiff".


 

Jean-Didier Urbain - Ethnologue, mais pas trop




Jean-Didier Urbain - Ethnologue, mais pas trop

Cet ethnologue français dont j'avais lu précédemment "Secrets de voyage", clarifie un peu les incompréhensions dont il a été victime lors de la sortie de cet ouvrage quelques années plus tôt.

Celui ci est daté de 2003 et fait en introduction écho à l'un des thèmes abordé: le voyageur secret.
L'essai est une vaste réflexion sur la position d'un ethnologue face à des sociétés éloignées voire passées et celles d'aujourd'hui et d'ici. Il oppose l'endotique à l'exotique.
Au regard de nombreux adeptes de l'incognito passés, les stratégies sont multiples pour se fondre dans le paysage et ainsi s'adonner aux observations sans interférences. Il y'a une série de nuances entre faire l'étranger ou se faire passer pour ce qu'on est pas.
Les grands préceptes de l'ethnologie préconisait d'étudier des peuples étrangers pour s'en émerveiller, et pour se comprendre soi-même sauf qu'au XXème siècle, il n'existe plus de "sauvages".
Les bouts de monde intacts n'existent plus à cause de la circulation généralisée, le tourisme démocratisé.
Sans les remettre en question en leur temps, les méthodes à papa de Claude Levis Strauss sont éculées aujourd'hui.
Pourquoi ne pas tenter d'observer en ethnologue ses voisins dans l'ici et maintenant? Mais il n'est pas simple d'avoir un regard étranger à sa propre culture, des détails qui nous sont si familiers nous échappent. Quand on consulte des observations extérieures à sa culture, on peut parfois être étonné. Les musts touristiques sont loin d'être représentatifs pour cerner une âme anthropologique. Certain(e)s se sont appliqués à étudier des niches comme le kitsh, les ascenseurs, les toilettes etc.
En termes d'observation de proximité, des auteurs comme La Bruyère, Voltaire, Montesquieu s'y sont essayé en usant de subterfuges littéraires.
Les références pleuvent et on progresse dans cet exposé avec l'auteur pour conclure que voyager ou observer et une état d'esprit et qu'il n'est donc pas exclusif au lointain. En guise d'épilogue, Jean Didier Urbain nous partage une expérience claustrophile dans les catacombes de Paris qu'il a lui même menée mais ne s'étendra pas dans les détails, car ce qu'il veut prouver c'est que l'aventure est à portée de main n'importe où.


 

Percy Bysshe Shelley - Eloge du végétarisme




Percy Bysshe Shelley - Eloge du végétarisme

Court pamphlet peu connu du célèbre poète anglais paru dans l'indifférence en 1813. Loin d'une quelconque rigueur scientifique ou philosophique, il utilise la verve de sa vigoureuse jeunesse pour défendre son rejet de la consommation carnée. Selon lui, elle serait source de toutes les tares humaines. Bien qu'athée, il se base sur le mythe de Prométhée ainsi que le péché originel pour justifier l'inéluctable dépravation de l'homme depuis qu'il s'est fourvoyé à consommer de la chair. La consommation de boissons alcoolisées aurait aussi les mêmes effets pervers.

Bien qu'on soit encore loin de l'horreur concentrationnaire des abattoirs industriels, l'auteur trouve simplement inacceptable d'ôter une vie pour se nourrir. De plus il souligne déjà l'aberration de gaspiller des surfaces cultivables pour engraisser des animaux qui vont nous nourrir ensuite alors qu'on peut très bien cultiver directement ce qui nous rassasie. Il prend l'exemple de l'orang outan sensiblement pareil à nous et pourtant frugivore. Rejet aussi de la cuisson des aliments. Il oublie quelque peu qu'il doit cuire ses pommes de terres et ses petits pois... Pour avoir une longue vie saine, rien de tel que "l'abstinence de toute substance ayant jadis vécu". Sans doute n'est-il pas conscient que les végétaux sont aussi des êtres vivants.
Rien de très solide niveau argumentation il faut l'avouer avec notre regard du XXIème siècle mais qui semble être assez précurseur pour son époque.