Gilles Lipovetsky - L'empire de l'éphémère




Gilles Lipovetsky - L'empire de l'éphémère - La mode et son destin dans les sociétés modernes

Daté de 1987, ce deuxième essai de ce philosophe sociologue français ne nous emmène pas dans les coulisses des strass et paillettes, mais plutôt aux origines de ce phénomène appelé Mode qui est apparu en Occident dès le XIVème siècle. Bien sûr plusieurs courants architecturaux ou d'art se sont succédés bien avant.
La mode est par définition éphémère et s'oppose aux traditions tournées vers le passé. Alors que les civilisations plus tribales avaient cultivés des signes distinctifs pour revendiquer une appartenance à un groupe social, puis que dans l'Antiquité le vêtement n'était que fonctionnel et assez similaire tout sexe confondu, le bas Moyen Age voit se développer la frivolité d'apparat.


Culturellement cette époque amène une conception plus tournée vers le plaisir ici bas paradoxalement aux préceptes de la religion chrétienne en usage en Europe.  Une prise de conscience de l'angoisse de la mort va aussi développer des pratiques qui nous ferons jouir de la vie maintenant.
Ce sont les prémisses de l'individualisme qui seront un terrain fertile au développement de cette course effrénée à l'originalité dans l'habillement pour se distinguer de son voisin. On a longtemps cru que cette émulation était due uniquement à la concurrence entre classes sociales puisque la belle toilette était synonyme de prospérité, mais le processus est plus complexe. Jusqu'à lors la séduction résultait plus de faits d'armes chevaleresque que de subtilité. C'est aussi cette nouvelle sémantique de galanterie poétique, de courtoisie et de raffinement qui va contribuer à cette recherche toujours plus poussée à force de détails à être dans le coup. " Le présent est jugé plus prestigieux que le passé".


Plus récemment, on est entré dans la Mode de cent ans, c'est à dire entre grosso modo 1850 et 1950. Celle ci va de pair avec la bureaucratie, le capitalisme, l'ère moderne de l'industrialisation. Alors que les couturiers était relégués au rôle subalterne, on assiste à l'émergence de véritable star de la couture. Celles ci sont souvent proches des têtes couronnées qu'elles ont l'honneur d'habiller. Du clinquant et tapageur, on tombe dans une mode moins ostentatoire, le chic doit être sobre et discret.
Les gouts sont très fluctuants et les créateurs doivent sans cesse s'adapter et proposer pléthore de modèles dont seuls une poignée aura du succès. Les défilés deviennent monnaie courante et c'est seulement après l'approbation du public que les séries peuvent être lancées en plus grandes séries. Le mode est devenue presque exclusivement féminine mais aussi plus accessible aux classes sociales moins riches. Elle sera dès lors associée à la séduction, pouvoir prétendument du "beau sexe". Une certaine revendication de la liberté créatrice se développe dans une sorte de démocratisation généralisée de l'esthétique.


Après les années 1950, se développe ce qu'on appelle le "prêt-à-porter" qui va ouvrir les portes de la  production de masse et peu à peu gommer l'accès à la mode de l'exclusivité bourgeoise.
Publicité, griffes seront à la porte de (presque) n'importe qui. Il faut paraitre jeune, être dans le coup, ne surtout pas ressembler à ses parents. C'est aussi dès les année 1960 que la mode va redevenir aussi masculine, désinvolte moins emprunte d'idolâtrie. Les modèles ressemblent au commun des mortels. Le culte de la jeunesse, du narcissisme de plus en plus poussé va créer un nouveau marché plein de lotions pour la peau, de parfums, de vêtements de sport ...


Pour rappel le livre est sorti en 1987 donc il n'est pas au fait des dernières tendances de ces presque trente dernières années, mais il semble que dans les années 80, il y ait eu une fusion de tous les styles. Le culte de l'hédonisme promeut le plaisir individuel plus que l'acceptation sociale. Le temps du ricanement ce qui est démodé est révolu. Mais le consumérisme pousse toujours à acheter plus, plus souvent pour flotter dans l'allégresse de la nouveauté voire pour palier à un moment de cafard.

Dans la deuxième partie du livre, on prend un peu de recul avec la "mode vestimentaire" pour parler plus globalement de l'Ephémère. L'obsolescence programmée n'est plus un secret et devient de plus en plus la norme à mesure que le système a compris que si on veut engendrer plus de profit, on a plutôt intérêt à produire de la mauvaise qualité pour que les gens achètent plus et plus souvent. D'où un culte de la Nouveauté qui s'est installé et qui paradoxalement nous fait déserter le matérialisme, l'amour de l'objet pour un amour de l'éphémère, du neuf. Pour l'auteur, ce processus de mode, aurait tendance à nous préparer au changement plus qu'à l'immobilisme et nous permettrait de mieux nous adapter aux futurs bouleversements... Mais bien sur ce postulat est plus complexe et l'ère postmoderne nous façonne toujours plus au monde de la Séduction. On la retrouve partout, tout le temps avec la publicité, la culture pop, les films, séries. Tout se ressemble avec juste des petites nuances de différence, il ne faudrait pas déstabiliser trop le public. Même la politique s'en mêle, je suis cool regardez je suis comme vous, votez pour moi ! On veut toujours plus de stars, d'idoles pour nous faire rêver à cet univers inaccessible, accéder à l'évasion.


L'individualisation hédoniste nous pousse à de plus en plus prendre soin de soi, bien-être et plaisir sont le mot d'ordre, culture du loisir, l'Information sujette au dictat du show. Il faut toujours que l'info soit brève, claire, simple.
Les médias de masse se multiplient et permettent un multiplication de point de vue, une plus grande individualisation d'opinion. Opinions qui deviennent de plus en plus molles, fluctuant au grés des jours. Mais cette affluence de nouvelles participe au débat collectif, entretient les confrontations d'avis. L'engagement envers une idéologie est de plus en plus légère, plus personne n'est prêt à mourir pour ses idées. Là aussi la frivolité est de mise.
L'augmentation des population scolarisée laisse plus de place à la rébellion de la jeunesse.


Mai 68 n'était pas une contestation profonde, plus un exercice de style pour prouver qu'il est encore possible de se rebeller dans une vie pas encore écrasée par le travail. Puis, la libéralisation prend place à tous les stades aidée par ce nouveau culte individualiste de compétition.
A force de se renouveler, la mode au sens large finit par revenir à son point de départ: le conservatisme, le traditionalisme, antagonisme entre rétro et néo. Alors que la libérations des mœurs dominait, la rigorisme fait son grand retour avec quelques nuances en plus.


" Si l'homme démocratique a un gout naturel pour la liberté, il a une passion encore plus ardente pour l'ordre public, il est toujours prêt, dans les circonstances troublées, à renoncer à ses droits pour étouffer les germes du désordre"


Bref, à force de multiplications de modes de pensée, d'une saturation d'information disponible à tout un chacun, on est libre de se façonner une idéologie à la carte, d'être moins soumis à de quelconques diktats.
" Gardons-nous de toute vision béate: les réactions impulsives du public, les sectes, les différentes croyances ésotériques et parapsychologiques qui défraient fréquemment la chronique, sont là pour rappeler que les Lumières n'avancent pas sans leur contraire, l'individualisation des consciences conduit aussi bien à l'apathie et au vide intellectuel, à la pensée-spot, au salmigondis mental, aux adhésions les plus déraisonnables, à de nouvelles formes de superstitions, au "n'importe quoi" " . 


 

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