
Jared Diamond - Effondrement
Je n'avais pas eu le courage de
rédiger un résumé après la lecture de l'excellent "De l'inégalité parmi
les sociétés" tant la tâche me semblait ardue ni après "Le troisième
chimpanzé". J'avais acheté les yeux fermés celui ci et il me narguait
depuis plusieurs années sur mon étagère. J'avais découvert ces ouvrages grâce à
Yuval Noah Harari qui les recommandait chaudement.
Ce auteur américain commence à se faire vieux mais cumule les casquettes:
géographe, biologiste
évolutionniste, physiologiste, historien et géonomiste.
Dans le long prologue de cette vaste brique de 800 pages publiée il y a déjà 20
ans, on est averti de la teneur de l'essai qui va suivre à savoir une
tentative d'explication sur la disparition de plusieurs civilisations passées via
le prisme d'une étude comparative avec le présent. Il a ainsi avalé quantité
d'ouvrages dûment référencés pour nous pondre cette synthèse dans un style
clair et accessible.
L'idée romantique d'un homme préhistorique conscient de
son environnement et respectueux des ressources qui l'entourent sonne faux, il
n'était simplement pas lucide en exterminant plusieurs espèces de grands
mammifères ou en sciant la branche sur laquelle il était assis dans sa nature
destructrice. Comme aujourd'hui, face
aux enjeux de notre temps, il essayait simplement de survivre dans une jungle
effrayante.
Selon Jared Diamond, la seule destruction anthropique de son biotope n'explique
pas tout, l'homme a parfois été tributaire de changements climatiques brusques,
de voisins belliqueux et de rapports commerciaux plus ou moins heureux. Ces
complexes combinaisons d'avaries ont mené à l'anéantissement de plusieurs
grandes ou petites sociétés dont nous restent des vestiges.
On commence par la situation actuelle de l'état du Montana (choisi
arbitrairement) qui subit plusieurs problèmes de pollutions importantes à cause
des traces laissées par l'exploitation minière, la construction de barrages, la
déforestation, les incendies et leur gestion erratique, la salinisation de
l'eau, la démographie galopante, le surpâturage, l' introduction de plantes ou
animaux allogènes , érosion.
Voilà pour les problèmes purement environnementaux, qui sont finalement minimes
par rapports à d'autres régions surpeuplées, mais à cela s'ajoute des antagonismes entre
habitants anciens et nouveaux arrivants. Alors que certains s'attachent à des
valeurs d'une agriculture qui vivote, on vient désormais dans le Montana pour
s'offrir une belle propriété pour le loisir et donc apparaissent des intérêts divers. Spéculation,
économie tributaire des subventions du fédéral mettent cet état en sursis. Il
ne peut s'en sortir que via des soutiens extérieurs eux-mêmes dépendants
d'alliés etc.
Ce n'est pas le cas de l'Ile de Pâques qui est l'île la plus isolée du monde où
pourtant une population polynésienne s'est installée vers +/- 1200. Cette date
est toujours sujette à débats. Divisée
en une douzaine de clans répartis comme dans un gâteau dans des zones aux
ressources inégales, malgré des différends, ils ont pu coopérer et s'échanger
des biens. Initialement une foret tropicale, l'île a peu a peu été déboisée
pour la construction de pirogues, de rails de transport des fameuses statues
acheminées vers les côtes. Les rats importés par les premiers colons furent
aussi responsables du déboisement définitif, se nourrissant des noix de
palmiers. Livrés à la famine ils n'auraient eu d'autre choix que de s'entretuer
pour s'approprier les dernières ressources et de pratiquer le cannibalisme. La
situation particulière de l'île (éloignement, latitude, climat...) a contribué
à la déforestation totale sans une bonne régénération contrairement à d'autres terres insulaires à la
situation plus propice.
Dans le cas des Iles Pitcairn (celles ci ayant une histoire avec les mutins du
Bounty), Henderson et Mangaréva, elles ont entretenu pendant plusieurs siècles
une relation d'interdépendance. En effet, chacune possédant des atouts, leur
population a vécu d'échanges. Une fois que le maillon central Mangaréva a connu
la déforestation, la famine, la micro guerre civile et le cannibalisme, cela a
entrainé le déclin et la totale disparition des habitants de Pitcairn et
Henderson.
Dans le Sud-ouest des Etats-Unis, les Anasazis ont connu aussi un climat sec
peu propice à l'agriculture. Victimes eux aussi de leur propre appétit à
déforester, ils ont du peu à peu aller chercher de plus en plus loin leurs
grands arbres et devenir dépendants en toutes les denrées alimentaires. Ils ont
aussi été victimes d'une trop grande démographie et ont fini par devoir fuir
leur cités creusées dans les montagnes après des guerre civiles vers le XIIIème
siècle.
Les Mayas sont un des peuples les plus évolués d'Amérique et se sont comptés en
plusieurs millions. Ils étaient un des seuls à maitriser l'écriture mais ont
manqué d'invention comme la roue, les animaux de trait, le métal et de cohésion
entre les mini empires qui se faisaient la guerre. Victimes aussi de
déforestation et ainsi de détérioration des sols ils s'étaient presque auto
annihilés avant le coup fatal lors de l'arrivée des espagnols.
Jared Diamond s'attarde particulièrement sur l'histoire des Vikings au
Groenland qui est plus complexe et rassemble 5 éléments en même temps qui les
ont conduit à leur perte. Le réchauffement climatique (appelé optimum
climatique médiéval) vers 1000 après JC qui avait permis à la brute Erik Le
Rouge d'atteindre ces terres septentrionales de l'Atlantique Nord a été suivi
du petit âge glacière qui a fortement rendu difficile la circulation et la
survie. Le climat doux de l'époque les a conforté dans un établissement
durable. Contrairement à d'autres îles relativement proches de la terre mère
Norvège colonisées comme les Orcades, les Shetlands, les Iles Féroé et même
l'Islande, le Groenland se trouvait beaucoup plus loin. Il en va de même pour le
Vinland canadien. Le climat groenlandais est devenu hostile, l'élevage bovin
rendu difficile par la courte saison végétative et le peu de terres propices au
pâturage. L'influence de la mafia chrétienne grandissante a contribué à des
gaspillages de ressources pour construire des églises, entretenir l'opulence du
clergé et financer les croisades. Le côté conservateur des norvégiens les a
empêché d'imiter les Inuits qui eux ont perduré dans ces mêmes conditions et de
s'adapter. Coupable une fois encore de la destruction de son milieu (défrichage
pour l'élevage, érosion qui en découle impossibilité de régénération
naturelle..), l'humain a pu de moins en moins perdurer. Les chefs vikings n'ont eut le privilège que de mourir de faim les derniers.
Les carottages des archéologues ont permis d'étayer cette analyse de
l'existence de la faune et flore qui s'est éteinte à l'arrivée des vikings et est
réapparue à leur déclin pour de nouveau décroitre au retour des hommes en 1924.
Des difficultés à se procurer du fer ont aussi empêché une réelle domination
sur les Inuits (ce qui fut le cas pour les Espagnols sur les peuples
précolombiens).
Pour apporter quelques notes positives dans cette litanie d'échecs, l'exemple
des Papous qui ont vécu isolés depuis 40 000 ans est un exemple de pratiques
résilientes. Encore plus étonnant, l'île de Tikopia a réussi a survivre au moins
depuis 3000 ans en étant une toute petite communauté de 2000 âmes qui a su se
maintenir en autarcie. Ils ont eu l'intelligence de maitriser leur démographie,
de pratiquer une agriculture intensive mais vertueuse en ne foutant pas tout en
l'air. Une coopération sans trop de hiérarchie a sans doute aussi été une des
clés de leur succès. Alors qu'ils avaient pratiqué un temps l'élevage de porc, car c'était une tradition, ils ont pris une décision radicale au XVIIème siècle
en arrêtant cette pratique dispendieuse d'énergie, préférant se nourrir
directement de végétaux et de pêche raisonnée.
Au Japon, on a su aussi tirer son épingle du jeu dans un milieu beaucoup plus
vaste et peuplé, tenu d'une main de fer par les Tokugawas. On a eu l'intelligence
d'une gestion forestière rigoureuse mais aussi l'idée d'aller appauvrir
d'autres milieux que les leurs. Le contrôle de la démographie a aussi fait ses
preuves.
D'autres exemple de succès de civilisations sont légion qui s'expliquent par
une alchimie entre milieu écologique et sa gestion mais aussi de facteurs
d'échanges commerciaux et guerriers.
Dans la troisième partie, on aborde les sociétés contemporaines comme le
Rwanda. Des tensions ethniques mises en exergue par une surpopulation criante attisée
par le colonialisme et la corruption on finit par mettre le feu aux poudres et
faire s'entretuer des centaines de milliers de gens.
Sur l'île d'Hispaniola, deux nations pourtant très proches avec des ressources
de base similaires sont devenues complètement différentes: Haïti une terre
quasi désertique surpeuplée étouffée de pauvreté et sa voisine République
Dominicaine, certes pauvre mais avec des parcs naturels et une agriculture plus
efficace. 1/3 du territoire est placé sous statut de réserve naturelle mais
cela a été rendu possible malheureusement par un système dictatorial. On peut
comparer la société haïtienne et dominicaine aux Inuits et aux Vikings qui dans
un même milieu ont disparu ou triomphé selon différents choix sociétaux.
La Chine est un géant où tous les superlatifs sont de mises, son influence sur
le monde est immense. Une relative unité multiséculaire l'a conduite a pouvoir
opérer de grands changements sur un énorme territoire et une population
nombreuse de manière autoritaire. Elle est responsable d'un sacré désastre
écologique à l'échelle mondiale mais aussi a un pouvoir sur son redressement
relatif. Le chapitre est assez déprimant ainsi que le suivant sur l'Australie.
Il est intitulé L'Australie "minière" car depuis le début de sa
colonisation par les anglais fin du XVIIIème siècle, elle n'a servi que de
chèvre à lait à l'empire britannique au mépris de toute réflexion de pérennité.
On arrive, on pille tout ce qui est possible, puis on va on peu plus loin,
comme dans une exploitation minière où rien n'est renouvelable. Contrairement à
une agriculture respectueuse des sols, on s'est cru dans un environnement
anglais mais la terre et le climat étaient tout autre. On a voulu aussi
importer les espèces non adaptées comme le mouton, le lapin, le renard sans
parler de centaines de plantes invasives.
Aberrations sur aberrations dans ce système australien lui aussi coupable d'un
des plus grands désastres et qui œuvre durablement au réchauffement climatique
(élevage, défrichage, salinisation etc.... la ribambelle habituelle de
destruction).
La quatrième partie se veut légèrement optimiste pour l'avenir, Jared Diamond
tente de souligner les raisons qui poussent différentes sociétés à effectuer
des actions délétères. Par méconnaissance pure des conséquences, par amnésie du
passé, par échec de tentative de redresser la barre, par conflits d'intérêts
immédiats/sur le long terme.
Des exemple sont expliqués d'exploitation qui apparaissent comme les plus
polluantes aux yeux des écologistes mais qui contre toute attente peuvent se
révéler assez respectables pour l'environnement dans certains rares cas .
Connaissant les ravages que peuvent causer de grande catastrophes largement
médiatisées (marées noires, explosions...), les compagnies pétrolières
préfèrent prévenir que guérir (c'est mieux pour leur portefeuille) et ne pas
s'attirer les foudres de certaines population locales.
L'industrie minière est bien plus génératrice de pollutions quasi éternelles
que la pétrolière mais elle est moins spectaculaire. Pourtant les eaux usées,
des produits utilisés pour extraire le minerai qui donneront le fer, le cuivre
et autres métaux usuels sont dévastateurs pour la faune et la flore locale et
globale.
L'agroforesterie est bien sûr génératrice de nombreux problèmes comme expliqué
plus haut, mais de puissantes ONG tentent de faire pression avec le label FSC
qui donnent une honorabilité à des pratiques de renouvellement: un arbre coupé,
2 plantés. Pour la pêche à grande échelle, il y'a le label MSC qui tente de labelliser
des méthodes moins destructrices.
En fin de compte, c'est surtout le consommateur qui choisit ou non de favoriser
des pratiques +/- respectables même si souvent la provenance n'est pas claire.
C'est sans doute auprès de ces méga
sociétés ultra polluantes qu'il faut se réjouir d'agissements pour
l'environnement pour observer des résultats significatifs sur l'ensemble de la
planète.
Pour conclure, contrairement à autrefois, nous avons les connaissances
historiques des effondrements de sociétés passées, des réseaux d'information et
de commerces interplanétaires. Comme en Hollande et ses polders qui sont
interdépendants de leur survie, qui provoquent donc une conscience collective,
notre monde est désormais un immense polder dont les problèmes locaux
deviennent globaux. Notre mode de vie occidental est déjà intenable mais ce
sera encore plus vrai si les habitants de pays dits émergeants y accédaient. Il
est grand temps de réduire la population mondiale, d'abaisser notre luxe
prodigue et de conscientiser le plus grand nombre au mur qui arrive de plus en
plus rapidement si nous ne changeons pas de cap.